Journaliste. Monoparentale. Une fille de sept ans. Presque pas de transport en commun. Possible, une vie sans voiture à Val-d’Or? Le défi est lancé!
J’adore le vélo, mais je n’ai jamais assez de temps pour en faire. Je reçois régulièrement des tickets de stationnement. Je déteste gaspiller du temps en voiture au lieu de jouer dehors. Et chaque fois que je paie une facture de garage, je ne peux m’empêcher de penser à la chose agréable que j’aurais pu m’offrir pour le même montant. En plus de ces frustrations, la planète chauffe, tout comme ma carte de crédit, d’ailleurs. Un an sans voiture? Et si j’essayais?
Ma révélation, je l’ai eue en octobre, lors de la projection du film Motherload. Ce documentaire est une ode au vélo cargo. La réalisatrice, Liz Canning, y montre comment son vélo grand format a contribué à améliorer sa santé physique et mentale et la qualité de vie de sa famille. Elle y démontre aussi que ces bicyclettes aident à émanciper les mères qui, partout dans le monde, se retrouvent isolées et moins actives après l’arrivée des enfants. Car avec tous les gadgets et les types de vélos sur le marché, on peut littéralement transporter n’importe quoi sur deux roues. Tout à fait inspirant!
Est-ce faisable?
Bon, Liz Canning vit en Californie, au nord de San Francisco, et moi, à Val-d’Or, en Abitibi… où aucun transport en commun digne de ce nom n’existe. Sans compter que l’hiver commence après l’Halloween et se termine à la Journée nationale des patriotes.
J’ai donc recensé mes activités quotidiennes et hebdomadaires, et les trajets qu’elles représentent. Comme journaliste pigiste, je travaille le plus souvent de la maison (0 km), de l’espace de coworking (900 m) ou du café le plus près de chez moi (1,2 km). École de ma fille : 500 m. Ma mère : 400 m. Bibliothèque : 1,3 km. Cinéma : 400 m. Microbrasserie : 700 m. Épicerie : 900 m… et j’en passe. En fait, j’habite le quartier Bourlamaque, le meilleur en ville!
Spécialisée en action climatique, agriculture, foresterie et enjeux autochtones, je dois parfois me déplacer pour mes reportages. Autre embûche : le père de ma fille habite en Outaouais, ce qui exige deux à trois allers-retours par mois pour traverser les quelque 200 km qui me séparent du point de rendez-vous.
Quel plaisir […] de sentir cette montée d’énergie et de fierté chaque fois que j’enfourche ma selle, si courte que soit la promenade.
Faire des tests
Je décide en conséquence de m’imposer la règle suivante : TOUS mes déplacements SEULE, de 5 km et moins, qui n’exigent pas le transport de gros articles, je les ferai désormais sans voiture. Quel plaisir de me rendre à des réunions en pédalant, de ne jamais manquer de stationnement, d’éviter les tickets et de sentir cette montée d’énergie et de fierté chaque fois que j’enfourche ma selle, si courte que soit la promenade.
Début novembre, les premiers flocons tombent. Le froid ne m’effraie pas, mais les petits pneus de mon vélo hybride, eux, m’inquiètent, car ils ne tiendront bientôt plus la route. Je suis tentée de me procurer un vélo cargo aux pneus surdimensionnés. Je commence par louer « l’engin », ce qui me permet de vivre l’expérience dans des conditions hivernales et de partager le plaisir avec ma fille, qui peut s’asseoir confortablement derrière moi, comme sur une moto. Épicerie, pharmacie, bibliothèque, rendez-vous chez le dentiste… Malgré quelques zones mal déneigées, on réussit toujours à passer.
On a beaucoup de plaisir toutes les deux et on évite facilement une quinzaine de kilomètres de voiture en quelques jours. Mais la monture vaut quand même autour de 4000 $, ce qui dépasse mes moyens. « Tu peux commencer avec des pneus à clous », me suggère le propriétaire de la boutique de vélo. « Chausser » mon vieux bécyk, acheté il y a 15 ans, pour environ 200 $? Allons-y! Première déception : ma fille ne pourra pas se promener avec moi. La seconde : je dois changer les pneus d’hiver (encore une dépense) sur ma désormais « foutue » voiture.
Un char, ça se partage?
Autre réalité d’une région telle que l’Abitibi : les services d’autopartage n’existent pratiquement pas. Sur la plateforme Turo, par exemple, les automobilistes se comptent sur les doigts d’une main et aucune organisation publique ne donne accès à ses voitures électriques en libre-service, comme ça se fait dans certaines municipalités.
Tadam! Et si je partageais une voiture avec quelqu’un? L’affaire n’était pas tout à fait dans le sac. « Ça ne me dérange pas de te la laisser pour aller reconduire la petite, mais, moi, j’j’veux avoir mon char DANS LA COUR quand j’en ai besoin. Pas question que je coure des taxis! » m’a répondu ma mère avec aplomb la première fois que je lui ai suggéré l’idée. « Ça aurait marché, mais je perds trop d’avantages avec mes assurances », a vérifié de son côté une amie…
Faire le saut
En mars, j’aperçois sur Facebook la publication suivante : « Nous cherchons une voiture en bon état, mais abordable pour notre fils. » Voilà! Je fais le pas : je vends ma bagnole. Je laisse du temps à l’adolescent pour remplir son compte bancaire et, deux mois plus tard, sa mère m’appelle pour me dire : « On va aller chercher la voiture demain. »
Vider tous les disques compacts, sacs d’épicerie et jouets d’enfants qui traînaient dans ma Matrix 2008 – 212 000 km au compteur – me donne le vertige. Et toujours cette incertitude pour mes reportages. Le lendemain, pourtant, je ressens un grand sentiment de soulagement et de fierté de la voir partir. J’aurai une vie active, joyeuse, plus économique et je réduirai mes émissions de gaz à effet de serre.
Le soir venu, ma fille et moi montons sur nos vélos pour nous rendre au magasin de chaussures.
— Maman, il y a juste moi dans ma classe qui fait des commissions en vélo.
— … Est-ce que c’est gênant ou c’est quelque chose de l’fun?
— Ben non, c’est l’fun!
Même ma mère a finalement décidé de se lancer dans l’aventure en me prêtant sa voiture pour mes reportages quand elle ne s’en sert pas.
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