Montloup fabrique des tissus tricotés à Montréal, à partir de fibres biologiques ou écologiques. Sa fondatrice et responsable de production, Lila Rousselet, se bat pour maintenir l’entreprise à flot, dans un océan économique agité. Rencontre avec une véritable guerrière (pacifique) du tissu.
« Allô? Je ne suis pas sûre d’être au bon endroit », lancé-je confuse à Lila Rousselet au téléphone, au milieu d’une zone industrielle de l’arrondissement de Saint-Laurent. Bingo, elle m’indique qu’il faut faire le tour de l’imposant bâtiment gris, situé à quelques encablures de l’autoroute Métropolitaine. Je la retrouve quelques minutes plus tard dans une petite pièce nichée au cœur de l’usine.
En toile de fond, d’imposantes machines à tricot bourdonnent à l’unisson dans une symphonie de sons métalliques et réguliers. « C’est là que nous fabriquons les tissus, avec des fibres biologiques ou considérées comme écologiques telles que le coton et le chanvre », expose Lila Rousselet. Montloup privilégie, entre autres, la Global Organic Textile Standard (GOTS), certification garantissant une culture sans pesticides ou insecticides et une gestion responsable de l’eau.
L’entreprise a aussi recours à la viscose de bambou, fibre artificielle dont le bilan carbone est plus mitigé. En attendant de trouver une solution de rechange, elle se fie à une certification jugée transparente et fiable – soit OEKO-TEX – pour assurer l’absence ou la très faible quantité de produits chimiques, cancérigènes ou allergènes. « Le synthétique ne représente jamais plus de 20 % de la composition totale du tissu », précise la responsable de production.
Un engagement fort, alors que la production des fibres synthétiques d’origine fossile – tel que le polyester – est passée de 63 à 67 millions de tonnes de 2021 à 2022. Toujours populaires, car moins chères, les fibres synthétiques sont issues d’un processus de fabrication qui cause d’importants dommages à l’environnement et à la santé humaine en consommant une quantité gargantuesque d’eau et en rejetant des produits chimiques dans la nature.
Le local, un choix central
Après une formation collégiale au Centre des textiles contemporains de Montréal, où elle enseigne désormais, Lila Rousselet travaille comme cheffe de production chez Delyla, fabricant de tricots biologiques. En 2018, elle en reprend les rênes et établit une toute nouvelle identité de marque, Montloup. « Mont » comme Montréal, « loup » comme un sobriquet longtemps porté par sa fondatrice et une référence à la loupe utilisée par les maniaques de tricot afin de mieux scruter leur ouvrage.
Depuis ses débuts, l’entrepreneure tient à régionaliser le plus possible son activité, dans l’esprit de Fibershed. Cette initiative américaine est aussi développée au Québec afin de promouvoir « les textiles du terroir et le savoir-faire régional ». La plupart des clients de Montloup – des fabricants de vêtements comme Vêtements Mandala – sont basés au Québec et quelques-uns aux États-Unis. La teinture et la finition sont effectuées à Montréal et à Berthierville.
« La seule partie difficile à garder locale est le fil à tricoter, qu’on achète en partie à l’international, au Pérou, aux États-Unis pour le plus proche, mais aussi en Inde et en Turquie, concède Lila Rousselet. On essaie autant que possible de s’approvisionner à des endroits de confiance, facilement traçables. » Aux États-Unis, la traçabilité permet de savoir de quelle exploitation proviennent les balles de coton.
On produit toujours trop de choses qu’on ne vend pas et qu’on jette, et on achète trop de choses dont on n’a pas besoin.
Tel David contre Goliath, Montloup a mis en place un système de commandes personnalisées, afin de permettre aux designers d’ici qui ont moins de moyens d’acheter au rouleau. « On a toujours essayé d’améliorer ce système en fonction des commentaires qu’on recevait, mais on n’a pas de commandes. Ça ne marche pas », se désole-t-elle. Malgré une plus forte conscientisation, le rude constat est que le tissu local et écologique n’est pas priorisé dans une économie sous pression.
Cri du cœur
Une certaine lassitude transparaît dans la voix et le regard de la jeune trentenaire. « Je suis fatiguée, confirme-t-elle, sans que j’aie à poser la question. C’est compliqué pour tout le monde et pour Montloup. On est à un moment charnière où il va falloir décider, en tant que société, si on souhaite sauver les entreprises textiles d’ici ou non. » Manifestement, la situation est plus qu’urgente.
« Le gouvernement a encouragé le local pendant la pandémie, ça a créé un élan, rappelle Lila. Et maintenant, on retourne vers l’étranger comme si de rien n’était. On se bat seuls. » Les responsables politiques doivent investir sans tarder, selon elle, pour aider les entreprises locales à être plus compétitives, voire pénaliser les marques qui importent et produisent à outrance, sans égard au destin de leurs invendus. « On produit toujours trop de choses qu’on ne vend pas et qu’on jette, et on achète trop de choses dont on n’a pas besoin. »
Lila Rousselet estime essentiel d’éduquer davantage le public sur les modes de consommation et de production. La logique actuelle, qui consiste à suivre les tendances en achetant des vêtements à prix cassé, est insoutenable. Malgré les progrès qu’a entraînés l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, la fabrication délocalisée a toujours un coût humain important. Les femmes, tout particulièrement, subissent inégalités et violences. Payer le prix juste pour un vêtement de qualité et local serait ainsi bénéfique, tant pour le porte-monnaie (le vêtement dure plus longtemps) et le climat que pour les droits de la personne.
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Main dans la main
Alors que notre discussion prend fin, un homme fait irruption dans la pièce pour se préparer un café instantané. C’est Joe Leb, le président depuis 1967 de la manufacture Tricots Parisiens, qui héberge les installations de Montloup. « Je me suis lancée grâce à des personnes comme Joe qui m’ont toujours soutenue, confie-t-elle. Il m’a énormément appris sur l’opération des machines et la fabrication. »
Préoccupée par l’impact social du vêtement, fascinée par la fabrication et le contact avec la matière, Lila Rousselet n’a pas dit son dernier mot. Si la survie de l’entreprise est l’enjeu de l’heure, elle ambitionne de centraliser toute sa production en Amérique du Nord. « Pour le moment, je cherche l’équilibre entre mes valeurs et ce qui est réaliste pour continuer », témoigne-t-elle.
En attendant les initiatives politiques, elle s’entoure. L’entrepreneure est membre de la Communauté de pratique du secteur du textile et de l’habillement, lancée par Concertation Montréal, qui promeut des pratiques plus responsables et circulaires. « On offre des ateliers gratuits pour rejoindre des gens du milieu, souligne-t-elle. Je crois que travailler ensemble, c’est vraiment la clé. » Celle qui déverrouille les portails vers un monde plus sobre et plus durable.