Comment se fait-il que nous n’ayons pas encore réussi à opérer la transition climatique? Que les gouvernements comme les citoyens peinent encore à faire les bons choix? L’une des raisons à cela est la défaillance des décideurs à comprendre comment fonctionne réellement notre cerveau. Et surtout à adopter leurs politiques en conséquence.
Les outils économiques traditionnels, dont je parle dans mon billet précédent, supposent que nous sommes des êtres rationnels et parfaitement informés. Or, on sait que ce n’est pas tout à fait exact!
Quoi faire alors? C’est là qu’entrent en jeu les nudges (on y reviendra) et la fascinante discipline de l’économie comportementale. Cette dernière est à ce point marquante qu’elle a valu, en 2002, le prix Nobel d’économie à l’un de ses principaux penseurs, Daniel Kahneman (un psychologue!). Selon lui, nos décisions peuvent relever de deux systèmes. Le système 1 est rapide, spontané et ne requiert que peu d’énergie cognitive. Le système 2 exige de la concentration et de la réflexion, et mobilise donc beaucoup d’énergie.
Bref, nos décisions sont parfois guidées par nos émotions ou encore fortement influencées par ce que font les autres autour de nous. (Les voisins gonflables, ça existe!)
Selon certaines recherches, nous prenons des décisions du « système 1 », donc spontanées, rapides et peu réfléchies, 75 % du temps!
Cette « rationalité limitée », où notre cerveau nous joue des tours, c’est ce qu’on appelle les biais cognitifs. Ils nous empêchent de toujours « voir clairement », de prendre de « bonnes » décisions et d’adopter de nouvelles habitudes saines.
Et le climat dans tout ça?
Dans la lutte aux changements climatiques, les biais cognitifs qui nous empêchent d’adopter des comportements écoresponsables sont principalement :
1. Le biais de statu quo : une forte propension à conserver sa situation actuelle, à ne rien changer. Le changement est perçu comme une perte plus désavantageuse que les gains ne seraient satisfaisants.
2. Le biais de la gratification immédiate : on préfère les gains immédiats aux gains incertains futurs. Plus un moment est rapproché, plus on lui accorde d’importance. Il nous arrive tous de procrastiner, non?
3. Le biais de l’affect : quand notre état émotif, au moment de prendre une décision, affecte notre choix, qu’on en soit conscient ou pas. Nous réagissons plus fortement aux messages émotionnellement chargés (« La planète se meurt! ») qu’à ceux qui énoncent des faits objectifs (« Il faut diminuer nos émissions de GES de 50 % »).
4. Le biais d’identité sociale : lorsque nos comportements sont fortement influencés par ceux des autres et par notre entourage immédiat.
Des nudges pour nous venir en aide
Pour aider à surmonter ces biais ou obstacles cognitifs, il est possible d’utiliser un outil, popularisé par un autre Prix Nobel d’économie, celui de 2017, Richard Thaler : le nudge, qu’on peut traduire par « coup de pouce ». Cette approche utilise le renforcement positif pour influencer subtilement – et souvent à faible coût – les individus ou les institutions dans leur prise de décision, mais sans freiner leur liberté de choix.
Ils sont d’une telle importance que le GIEC a même abordé le sujet dans son rapport sur les solutions paru en avril dernier : « En fonction des consommateurs ainsi que des contextes culturels et nationaux, l’architecture de choix [NDLR : L’art d’orienter la décision avec les options offertes aux citoyens] peut contribuer (…) à adopter des comportements à faible intensité de GES. »
Quels types de nudges pourrait-on utiliser?
Prenons-en deux. Le premier : les choix par défaut. On propose simplement le comportement désirable par défaut. La personne doit donc faire un effort (remplir un formulaire spécial, faire un appel, etc.) si elle souhaite s’y soustraire (bref, continuer à polluer). Le consentement présumé de dons d’organes au dos du permis de conduire, adopté en Nouvelle-Écosse en 2021, en est un excellent exemple. Le second : les normes sociales. On utilise l’influence positive des pairs comme levier de changement. C’est le traditionnel « Tout le monde le fait, fais-le donc! ».
De nombreux autres nudges facilitent la prise de la « bonne » décision. Mentionnons : la rétroaction d’informations (informer les gens sur l’impact précis de leur choix négatif), la simplification, le cadrage (limiter les choix à ceux qui sont bénéfiques), la saillance (publiciser et faire la promotion des bons comportements).
Dans le contexte environnemental, on peut utiliser les nudges pour l’efficacité énergétique, la gestion de l’eau, la gestion des déchets, le transport durable, une consommation plus responsable ainsi que le respect de la réglementation.
Une centaine d’États dans le monde appliquent maintenant les principes de l’économie comportementale, y compris le gouvernement canadien. Même des organisations comme l’OCDE et le FMI suggèrent dorénavant des politiques publiques à saveur comportementale.
En somme, l’économie comportementale démontre un peu partout dans le monde que cette approche peut être complémentaire aux outils traditionnels et avoir des retombées significatives sur les enjeux environnementaux rapidement, efficacement et à faible coût.
Nous sommes aux balbutiements de cette approche. Reste à espérer qu’on l’utilisera de plus en plus, particulièrement au Québec et au Canada!
Avec la collaboration de Florence Ouellet